Réfugiés environnementaux

Les réfugiés environnementaux, contours et enjeux

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A l’heure où l’Europe assiste à un afflux historique de réfugiés politiques et économiques, une troisième catégorie reste aujourd’hui largement invisible aux yeux de l’opinion publique internationale : celle des réfugiés environnementaux. Dès 1995, la Croix Rouge avançait pourtant un nombre de 500 millions de réfugiés « pour cause écologique » à travers le monde. Dénuée de statut dans le cadre législatif international, cette catégorie de réfugiés à part entière n’en demeure pas moins au centre des enjeux de notre époque.

Qui sont les « réfugiés environnementaux » : une pluralité de situations

La définition de « réfugié environnemental » apparaît en 1985 à travers un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Sont considérés comme réfugiés de l’environnement « ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie ».

Les paysans au Bengladesh confrontés à des inondations chroniques, les civils japonais fuyant la catastrophe nucléaire de Fukushima ou encore des familles brésiliennes déplacées par les travaux de la Coupe du Monde 2016 : tous ces groupes d’individus ont en commun la nécessité de quitter leur lieu de vie suite à une « dégradation » ou une « rupture environnementale ». Ce concept large englobe à la fois les facteurs naturels (les aléas climatiques extrêmes tel que la montée des eaux ou la désertification) et humains (par exemple la pollution des sols, les accidents industriels ou encore les conséquences de politiques dévastatrices d’aménagement du territoire).

Les « ruptures environnementales » à l’origine de déplacements de populations ou de groupes d’individus sont donc multiples. S’ensuit d’ailleurs une utilisation de termes différents à travers la pluralité de ces situations : on pourra ainsi parler de « réfugié », de « migrant » ou de « déplacé », selon s’il y a passage d’une frontière ou non, de « mobilité » ou d’« exode », si la migration est temporaire ou définitive.

Quoi qu’il en soit, mobiliser ici uniquement le concept de réfugié « climatique » au détriment de celui de « réfugié environnemental » serait réducteur. Doit-on rappeler que l’empreinte écologique de l’Homme est la première cause du réchauffement climatique et des situations humanitaires dramatiques que l’on constate un peu partout sur notre planète ? Par ailleurs, on sait aujourd’hui que les aléas climatiques, dans l’espace mondialisé, peuvent être à l’origine de bouleversements politiques et de conflits armés. C’est ainsi que certains chercheurs du Centre pour le Climat et la Sécurité (Washington) ont montré que l’expansion de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak résultait en partie de l’extension de la sécheresse dans cette région. La notion de « réfugié environnemental » recouvre aussi, dans une large mesure, des implications sociales, politiques, économiques et culturelles, ce qui tend à complexifier l’identification et la définition de cette catégorie.

L’enjeu d’une reconnaissance juridique des « réfugiés environnementaux »

Il n’existe à ce jour aucun traité international qui puisse servir de fondement juridique à la protection des « réfugiés environnementaux ». La convention de Genève (1951) pour les réfugiés, référence en la matière, ne mentionne en effet nulle part les victimes des catastrophes ou des dégradations environnementales. Le terme même de « réfugié » pose problème, puisque la majorité des « déplacés environnementaux » ne traverse pas de frontières, et ne peuvent donc être intégrés à la convention de Genève.

S’ajoutent des difficultés d’ordre institutionnel et politique. D’une part, le problème est épineux pour les régions faisant face à la crise syrienne et l’afflux massif des demandeurs d’asile « traditionnels ». D’autre part, même si le droit international de l’environnement montre une voie encourageante, les Etats peuvent largement utiliser les principes de souveraineté et de non-ingérence pour justifier leur inaction en matière d’accueil de réfugiés sur leur territoire. On pourra également mentionner un obstacle idéologique d’importance, celui d’une reconnaissance encore lente et incomplète des implications du changement climatique global. On comprend dès lors que les pays du Nord, peu enclins à admettre leur responsabilité historique dans l’évolution du climat mondial, ne soient pas favorables à une approche collective et solidaire des “déplacements environnementaux”.

Malgré ces entraves importantes, quelques initiatives internationales encourageantes voient le jour. C’est notamment le cas de l’appel de Limoges (2005), qui préconise « la reconnaissance, l’élaboration et la proclamation d’un statut international des réfugiés écologiques permettant d’assurer la protection de cette catégorie à part entière de réfugiés ». Cette initiative parle de « déplacés environnementaux » afin de couvrir les migrations interétatiques et les définit comme : « les personnes physiques, les familles et les populations confrontées à un bouleversement brutal ou insidieux de leur environnement portant inéluctablement atteinte à leurs conditions de vie et les forçant à quitter, dans l’urgence ou dans la durée, leurs lieux habituels de vie et conduisant à leur réinstallation et à leur relogement ».

Conclusion

Rappelons que la problématique écologique sera demain un des grands facteurs d’instabilité mondial. Certains scénarios catastrophes sont d’ailleurs déjà annoncés : d’ici 50 ans, les îles des Tuvalu dans le Pacifique auront disparu sous la montée du niveau de la mer, posant le problème de la réinstallation de ces quelques 11’000 habitants dans un autre État. La nécessité d’une reconnaissance juridique du statut de « réfugié environnemental » s’impose dès lors pour assurer une protection dans les années à venir à des millions de réfugiés ou de déplacés écologiques.

Enfin, et c’est là le grand paradoxe de notre ère : quel point de rupture faudra-t-il attendre avant d’entreprendre une lente remise en question de nos modes de vie et de production? Il incombe désormais aux jeunes générations d’organiser dès maintenant cette résilience face aux défis globaux du changement climatique. Pour reprendre la célèbre formule, qui trouvera bientôt un écho décisif : “le XXIe siècle sera environnemental ou ne sera pas”[1].

Par Arthur Leclercq

[1] Jean Audouze paraphrasant André Malraux

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